Par Any Allard, professeure d'Histoire, co-auteur du livre « Feucherolles-Ste Gemme » avec Henri Euvé.
Il y a quelques mois, Jean-Pierre Euvé a fait don à la commune de Feucherolles de flèches de silex et de pièces de monnaie attestant l’occupation ancienne du territoire de notre commune. Il a ajouté à cette donation un parchemin du futur roi de France Jean II le Bon, lettre datée de 1344. C’est un élément fort intéressant pour mieux connaître l’histoire du village : il prouve sans conteste que Ste Gemme était lieu de résidence royale. C’est aussi un document fort intéressant pour l’Histoire car les lettres autographes de Jean le Bon sont rares.
De plus, une découverte en appelant une autre, j’ai eu l’immense satisfaction de découvrir une représentation de la chapelle de Ste Gemme, détruite à la fin de la Révolution, représentation datant du milieu du règne de Louis XIV.
Pour tenter de répondre aux interrogations que Jean-Pierre Euvé soulève dans le bulletin de la commune n°24 (juillet 2007) quant à la chapelle mentionnée dans ce manuscrit, il faut revenir au Moyen Age, vers l’an Mil : passé lointain et mystérieux. Les documents, rares et épars sont souvent fragmentaires et difficiles à lire même pour le paléographe, comme en témoigne le parchemin déposé à la mairie.
Parchemin de Jean II le Bon - 1344
Ce legs donne ainsi l’occasion de faire le point sur le château et les chapelles de Ste Gemme ainsi que sur la situation de l’ancien cimetière de Lanluet, « les » chapelles car celle que tous les promeneurs connaissent, semble être la troisième chapelle sur le territoire de Ste Gemme. Quant à la paroisse de Lanluet, elle avait son église et son cimetière jusqu’à sa réunion avec la paroisse de Feucherolles en 1806, réunion des deux paroisses qui a précédé celle des deux communes en 1818.
Ste Gemme, son château et ses chapelles
Vers l’an Mil, le domaine royal occupe peu d’étendue. Il est disséminé entre Montreuil-sur-mer et Orléans. Les Rois de France n’ont de cesse d’agrandir ce domaine, par union matrimoniale principalement, mais ils cherchent aussi à le préserver des empiètements des grands seigneurs, leurs vassaux et voisins, souvent alliés à l’ennemi.
Plan de Feucherolles et
Lanluet Ste Gemme, milieu XVIIIème
Dans la première moitié du XIème siècle, la construction des châteaux forts se multiplie. C’est le noyau de la seigneurie, le siège et le signe du pouvoir, comme l’explique Georges Duby. Mais c’est aussi un moyen de défense.
Sur le territoire de Ste Gemme s’élève un château royal : « l’hostel » de Feucherolles dont il est question dans le manuscrit. Les rois possèdent alors de nombreux châteaux sur leur domaine car ils sont en perpétuelle errance : ils sont en effet seigneurs sur leur domaine et entendent marquer leur pouvoir par leur présence, à un moment où aucun moyen d’information n’existe.
La construction de ce château, comme celle de la plupart des châteaux du Moyen Age, est difficile à dater. Cependant, il est très facile à situer : la carte des chasses de Louis XIV en précise les fossés par des pointillés et le cadastre dit napoléonien de 1819 en marque l’emplacement, en le nommant même : « Emplacement du château de Ste James ». Aujourd’hui, une petite voie qui donne rue de la mare Jeanne, se nomme « l’impasse du château ».
Plan cadastral
Construit à la lisière de la forêt, la place forte fait partie de la ligne de défense voulue par les Rois pour protéger leur domaine : elle est reliée par des souterrains au château de Retz en forêt, lui-même relié à la Montjoie, autre demeure royale en forêt de Marly.
Ce château, tout comme la tour de Feucherolles dont on trouve aussi l’emplacement sur la carte des chasses de Louis XIV, a vraisemblablement été ruiné au moment de la guerre de Cent Ans, les Anglais ayant occupé la contrée jusqu’en 1438. C’est de là que date la transformation du nom du village qui passe de Ste Gemme à St James !
La ferme de Ste Gemme, à l’entrée de la forêt, est construite en partie avec les pierres issues de la démolition du château.
L’Histoire a retenu le nom de ce château puisque c’est là que le Roi de France Jean II le Bon (1350-1364) se remarie avec Jeanne d’Auvergne le 9 février 1350, sa première femme, Bonne de Luxembourg ayant succombé à la peste noire en 1349. Il faut signaler que les manuscrits médiévaux qui parlent du château royal de Ste Gemme le situent à Feucherolles, alors que Ste Gemme est rattachée plus tard à la paroisse de Lanluet.
Le manuscrit cédé par J-P Euvé à la commune est une lettre de ce Jean, fils du Roi de France, Philippe VI de Valois et lui-même, futur Jean II le Bon. Cette lettre est datée de Février 1344 : année de trêve dans la Guerre de Cent ans.
Il est naturel, à cette époque, que les souverains s’expriment par lettre, notamment pour communiquer des ordres. L’écriture du futur roi est régulière et les lettres bien formées. Mais pour la compréhension du texte, il faut se limiter aux données factuelles, les expressions employées s’étant modifiées au fil du temps.
Transcription du manuscrit de 1344
Jehan ainsné (aîné) fils du Roy de France, Duc de Normandie Comte de Poitiers d’Anjo (Anjou) et du Maine, au Bailli ou au Vicomte de Roan (Rouen )
"Salut !
Nous vous mandons et a chacun de vous que trente livres de bois a tours (référence aux livres tournois) lesquels nous avons donné et donnons ceste fois de grâce espéciale à notre amé (aimé) l’aumosnier de notre très cher seigneur et père pour l’édifiement d’une chapelle que il fait faire en son hôtel a Feucheroles. Vous le bailliez et délivrez ou faites baillier et délivrer sur un des marchans d’annones de nos forez de votre bailliage et vicomté en rabatant a yceluy marchant les dites trente livres de ce en quoi il sera ou pourra estre tenu à nous pour cause des ventes ou marchés de nos forez et nous voulons aussi que les dites trente livres estre alloé (allouées) ou compté et rabatues de la recepte de vous ou de celuy de vous a qui il apprendra par les gens des comptes a paris (référence aux livres parisis) sens aucun contredit. Non contestant ordenons défense ou mandement contraire ne autre dons et graces que notre dit seigneur et père et nous avons autre fois fait au dit aumosnier. Donné à Tiars (Tiers ? Thiais ?). Le XVII° jour de février l’an de grace mil trois cent quarante quatre."
Par le …? du commandement le Roy
Jehan
Il leur demande de donner « trente livres de bois » à l’aumônier de son père, le Roi de France pour« l’édifiement » d’une chapelle en son hôtel (le château) de Feucherolles. Les livres sont alors la monnaie de compte : on voit bien, à la lecture de la lettre la coexistence sur le territoire français de la livre de Tours (livre tournois) et de la livre de Paris (livre parisis), et ceci jusqu’à ce que la livre tournois l’emporte en 1667.
Jean II le Bon, Reproduction d'un panneau de bois aux environs de 1350.
Mais le plus intéressant pour notre village, c’est que cet aumônier si cher au cœur du Roi et de son fils (il est qualifié d’ «aimé », il a déjà reçu des « dons et des grâces ») était alors un certain …… « Guillaume de Feucherolles » !
Selon les règles régaliennes, c'est-à-dire, les droits inhérents à la monarchie, tous les bois et les cours d’eau appartiennent au Roi qui en dispose comme il veut. Ainsi Jean dit « nos » forêts de « votre » bailliage. Il est donc vraisemblable que Jean, au nom de son père, cède une partie de bois à l’aumônier en échange de la construction d’une chapelle. Les archives ont conservé une multitude d’actes passés par les rois et les seigneurs faisant don de terres, de dîmes, de rentes, d’objets saints, de pierres précieuses, de reliquaires…..au clergé., ce qui explique la présence de telles lettres dans des fonds privés n’ayant pas fait l’objet de séquestres révolutionnaires.
C’est vraisemblablement dans cette chapelle que Jean II se mariera 6 ans plus tard.
Cependant à en croire l’abbé Gauthier, membre de la commission des Antiquités et des Arts de Seine et Oise, qui écrit une notice historique sur le hameau de Ste Gemme en 1892, c’est Robert le Pieux qui aurait construit une chapelle près du château en 1030. C’est possible, puisque après bien des déboires avec la papauté du fait de son mariage avec sa cousine, Berthe de Bourgogne, Robert cléricalise la fonction royale : il préside des assemblées de paix, lutte contre les hérétiques et fait construire ou reconstruire de nombreuses églises, notamment à Poissy.
Le château de Ste Gemme a fort bien pu être construit au temps de Robert le Pieux (996-1031) à un moment où la construction de châteaux forts se multipliait comme signalé précédemment et être ensuite demeuré résidence royale. Mais la notice de l’abbé Gauthier comporte quelques erreurs attestées par des actes datant de la révolution notamment.
Alors est-ce la chapelle de Robert le Pieux qu’il s’agit de rebâtir en 1344 ou d’une autre chapelle dont il est question dans le manuscrit du futur Jean le Bon ? Le mot « édifiement » fait plutôt penser à une édification plutôt qu’une reconstruction.
Toujours est-il qu’il y avait, avec certitude, une chapelle auprès du château, chapelle qui a vu au moins un mariage royal et chapelle qui a disparu en même temps que le château vraisemblablement.
La seconde chapelle qu’aient connue les habitants de Ste Gemme est plus facile à situer car elle apparaît nettement sur les cartes des chasses de Louis XIV, dans l’atlas de Trudaine vers 1750, sur une carte particulière de la forêt de Marly à la même époque et sur le plan d’intendance du village levé en 1787. Son emplacement apparaît le plus clairement sur un plan de Feucherolles et Lanluet conservé aussi aux Archives départementales, datant du XVIIIème siècle. L’église de Lanluet y est aussi indiquée. A noter que la croix qui est toujours sur la place des marronniers était alors appelée la croix Ste James.
Plan des paroisses de Feucherolles
et Lanluet Sainte James, XVIIIème siècle
Le procès-verbal de la vente des biens nationaux du clergé la situe « sur 1,20 arpent de terre, fermé de haies vives borné d’un côté par le chemin conduisant à la fontaine du Roseau, d’autre part, le chemin de Feucherolles et, au midi, par une terre appartenant à Vavasseur et à François Montreau. »
Mais le plus satisfaisant est de pouvoir voir cette chapelle telle qu’elle était en 1683 ! Ce dessin qui mentionne aussi la source de « Ste Jame » se trouve dans un dossier des Archives nationales concernant la conduite des eaux du Parc de Versailles : en effet à cette époque, Vauban étudie la possibilité d’amener les eaux de l’Eure pour résoudre le problème toujours épineux de l’eau au château.
La chapelle se trouvait donc au Sud du terrain qui fait l’angle de la route de Poissy et de la rue de la Chapelle, dans un endroit rendu aujourd’hui à la forêt mais où subsistent les mêmes chemins.
Cette chapelle a été vendue en tant que bien national du clergé le 21 brumaire an V, à Henri Michel Lemaître, couvreur, demeurant 8 rue « du peuple français » à Versailles. Ce nom de rue a été attribué par les Révolutionnaires au moment de la Terreur à une rue qui évoquait certainement soit le christianisme, soit la monarchie. Il faut savoir qu’à la même époque Lanluet Ste Gemme est devenu « Lanluets la Montagne » !
L’histoire de cette chapelle remonte aussi au Moyen Age où elle dépendait de la collégiale Notre-Dame de Poissy, église royale. A la veille de la Révolution elle dépendait toujours de Poissy : l’abbé Verrier, chanoine de Poissy en était le chapelain.
L’abbé Gauthier signale que Blanche de Castille y venait souvent pour prier et la légende veut qu’une femme désirant un enfant vienne faire sonner la cloche de la chapelle ou boire l’eau de la fontaine en contrebas. Chaque 16 août une messe solennelle attirant beaucoup de fidèles des paroisses voisines y était célébrée : c’est le jour de la fête de St Gemme et de St Roch.
Cette chapelle reçut des rois de nombreux présents et notamment de somptueux ornements offerts par la Dauphine, mère de Louis XVI, en 1749. Ces ornements sont à l’origine d’une violente querelle entre Ste Gemme et Poissy en 1790.(voir Feucherolles Ste Gemme, 2000 ans d’histoire, pages 105 à 108.)
Le cadastre napoléonien de 1819 ne fait plus mention d’un quelconque bâtiment religieux à cet endroit mais d’un plus vaste ensemble bâti. Cependant, en contrebas, le lieu-dit est appelé « côte de la chapelle ».
La chapelle actuelle, rue de la chapelle justement, est beaucoup plus récente : Mr et Mme Bonnet de Noisy le Roi avaient acquis au début du siècle un terrain où, sur le pan d’un mur en ruine, était nichée la statue de Ste Gemme.
Maison avec statue de la Sainte (1929)
Ayant perdu un enfant, ils y firent construire une chapelle consacrée en août 1929 par l’évêque de Versailles.
Il est probable que ce mur en ruine ait fait partie d’une abbaye cistercienne datant du XIIème siècle, devenue ensuite un prieuré bénédictin dépendant de l’abbaye de Coulombs au XVème siècle. Il est intéressant de noter ici que l’abbaye de Coulombs en Eure et Loir, largement dotée par les Rois et seigneurs, est alors un des plus grands propriétaires fonciers de la région. Philippe VI de Valois, le père de Jean le Bon y meurt en 1350. C’est vraisemblablement l’origine du nom du lieu-dit et de la résidence proche de l’église de Feucherolles.
Cependant, aucune abbaye, aucun prieuré, aucune ferme appartenant à l’abbaye de Coulombs n’est vendu à Ste Gemme ou à Feucherolles à la Révolution au moment de la vente des biens du clergé.
Cette chapelle n’est plus consacrée mais conserve tout son charme.
L’église et le cimetière de Lanluet
Les quelques maisons composant le hameau de Lanluet à la veille de la Révolution, sont situées à l’emplacement du club-house du golf de Feucherolles.
Il en reste uniquement le lavoir qu’on peut apercevoir au départ du trou n° 10, lavoir construit en 1828.
L’église de Lanluet n’était pas située dans le hameau. Elle était complètement isolée en plein marécage, à un quart de lieue du village, dans un endroit désert propice aux voleurs. Cette situation surprenante révélée par les paroissiens du village lorsqu’ils réclament l’abandon de leur « vieille église St Martin » pour être rattachés à la « fort belle église » de Feucherolles, est attestée par le plan de Feucherolles en 1750 et celui de Lanluet Ste Gemme en 1787.
Plan de Feucherolles (XVIIIème siècle) Plan cadastral
L’église est dans un triste état et il est décidé de la démolir lorsque la paroisse est réunie à Feucherolles. Il est vrai qu’elle a été la cible de la foudre en 1723 comme l’explique le curé qui a noté l’incident en marge des actes de baptêmes, mariages et décès.
Voici son récit en en respectant l’orthographe :
« Nota Lundi le vingt et un juin 1723 entre dix et onze heures du matin un orage des plus effroyables vint fondre sur l’église de cette paroisse le tonnerre tomba sur la clocher le foudroyant en plusieurs endroits en arracha plusieurs grosses pierres rafla une grosse poutre du befroy par le haut, de là étant entré dans l’église par de petites crevasses qui sont au-dessus du grand crucifix qui est entre le chœur et la nef, il en éclata la croix du haut en bas, ensuite il déchira le voile de Ste Barbe et les nappes de l’autel de la Vierge, renversa les pots et les chandeliers dudit autel et laissa une teinture violette sur un des gradins et vint éteindre un des cierges qui étaient alumés au maître autel où je disais la messe et laissa une fumée sulphureuse et si épaisse autour de moi qui me déroba à la vue de mes paroissiens qui étaient en grand nombre dans l’église, j’en étais au second mémento quand tout ce fracas arriva, personne ne fut blessé par une protection visible du ciel. » (Registre d’état-civil, Mairie de Feucherolles)
Le cimetière est adjacent à l’église comme l’atteste le récit d’incidents survenus en 1709 reportés dans les registres du conseil de fabrique. En effet pour attraper les fruits de deux poiriers situés dans le cimetière « le public éboule les murs et casse les fenêtres et les tuiles de l’église à coups de pierres ».
Le 27 septembre 1814 le terrain où se situaient l’église et le cimetière est vendu en deux lots égaux de 2 ares 47 centiares chaque à Charles Joseph Durand, propriétaire à Versailles.
Le squelette sur lequel ont été retrouvées les pièces de monnaie léguées à la commune par Jean-Pierre Euvé n’était donc pas dans le cimetière de Feucherolles. Toute hypothèse peut-être envisagée !
Quant aux vases funéraires, perles etc… qui ont été découverts au niveau de l’actuel Parc des Sports, ce sont des objets issus de sépultures fort anciennes à mettre en rapport avec le sarcophage du IVème siècle, découvert en 1946 par un excavateur dans la carrière encore ouverte près de De Grasse Village. Les villa gallo-romaines et les nécropoles mérovingiennes retrouvées lors de travaux le long de la 307, sont très nombreuses.
Voilà l’histoire des chapelles de Ste Gemme et celle de l’église de Lanluet et de son cimetière telle qu’il m’a été possible de les reconstituer, apportant ainsi quelques précisions aux travaux effectués avec Henri Euvé, il y a quelques années ; ceci grâce à la lettre de Jean le Bon déposée en mairie et aux cartes concernant Feucherolles mises en lignes sur Internet par les Archives.
La preuve est faite : on n’a jamais fini d’écrire l’Histoire !
Sources
Archives communales :
Registre d’état-civil de Lanluet Ste Gemme.
Archives départementales des Yvelines :
Cadastre dit napoléonien : Feucherolles.
Série Q : séquestres révolutionnaires.
Je remercie les Archives départementales pour la relecture de la transcription du manuscrit de Jean le bon
Internet :
www.inventaire.culture.gouv.fr
Ouvrages consultés :
Le chevalier, la femme et le prêtre, Georges Duby, Hachette, 1982.
La forêt domaniale de Marly, son histoire et sa culture, Les Amis de St Nom la Bretèche, 1998.
Feucherolles Ste Gemme, 200 ans d’histoire, Any Allard – Henri Euvé